Les yeux de Orchha

Orchha, un village tranquille du Madhya Pradesh, blotti dans un immense site archéologique avec deux palais, des mausolées et plusieurs temples…vestiges des temps anciens. Bien loin de l’agitation et des sollicitations de Khajuraho. Une toute petite ville toute simple. D’un autre âge, d’une autre culture.

Notre premier repas à Orchha est inoubliable. Il fait plus doux en cette fin d’après-midi et nous choisissons un resto avec une terrasse sur le toit, juste devant les châteaux. Un bonheur pour les yeux. Après une longue attente, nos plats sont enfin déposés devant nous. Les odeurs qu’ils dégagent ravissent nos estomacs affamés. Notre petit-déjeuner pris très tôt avant le départ du train de Khajuraho est bien loin déjà. Un dal de lentilles jaunes, un aloo gobi et des pains naan! Des plats juste assez épicés…

Du coin de l’œil, je vois passer de grands singes un peu plus loin et me lève pour m’assurer qu’ils ne viennent pas vers nous. Mais non, ils partent dans une autre direction. Nous continuons notre repas, mieux vaut manger tandis que tout est encore chaud. C’est tellement bon!

Tout à coup, je sens une présence à côté de moi. Des grands singes se servent à même nos naans! Celui qui est le plus près de moi dépasse la table à partir du torse. Juste à la bonne hauteur pour se servir confortablement. Ses yeux à la hauteur de mes yeux. Je hurle. De peur, bien sûr mais aussi de colère de me faire piquer un repas si attendu! Sans réfléchir, je me lève et les intrus reculent. Le renfort arrive. Mes cris ont alerté les serveurs qui chassent prestement les gourmands. Tout se déroule tellement vite que mon amoureux n’a pas le temps de se lever. Lui qui est toujours prêt à me protéger!

Nous avons droit à de nouveaux naans, les autres plats n’ont pas été touchés et nous terminons notre festin sous l’œil attentif des serveurs, munitions en main pour éloigner les intrus. Le cuisinier raconte que les singes tentent souvent de le rejoindre dans sa cuisine. Il ne veut pas utiliser des pierres alors il leur lance ce qu’il a sous la main. Parfois des tomates, des patates…cette fois-ci c’est avec des petits oignons rouges que la chasse s’effectue. Et je doute que les primates apprécient…

Les deux palais de Orchha valent bien le détour. Datant du 16e et du 17ème siècles, ils sont encore impressionnants avec leurs portes en arcades et leurs cours intérieures. L’un des deux, le Jahangir Mahal, aurait été construit en l’honneur de Jahagir, un empereur Moghul, par son ami de très longue date, Veer Singh Deo. On raconte que l’empereur n’y aurait séjourné qu’une seule fois. Incroyable dépense d’argent, de temps et de matière première mais un vrai régal pour les yeux. Une véritable incursion au pays des mille et une nuits

 

Tout à côté, le Raja Mahal est encore plus finement ciselé. Encore aujourd’hui, il est possible d’admirer les peintures qui recouvrent les murs de certaines pièces, peu exposées à la lumière. Les portes de ces chambres sont fermées mais les gardiens ne se font pas prier pour les ouvrir. Imaginez pendant quelques minutes cette construction de cinq étages d’un côté et de quatre de l’autre, ses terrasses couvertes de tapis et de coussins. Les murs des pièces intérieures couverts de scènes impliquant Lord Rama, Khrisna tandis que d’autres représentent la vie quotidienne de l’époque. Un voyage dans le temps!

Les sites archéologiques sont disséminés dans la ville et nous devons nous déplacer à travers les petites rues pour les visiter. Nous adorons bien sûr ces escapades pédestres. Mais à certains moments, je me sens mal à l’aise. À plusieurs endroits, selon les habitudes d’ici, les hommes se regroupent sur le bord de la rue pour discuter, assis en demi-cercle pour déguster un tchaï. Du coin de l’œil, je vois souvent un de ces hommes donner un coup de coude à ses amis en m’apercevant. Les autres se retournent et m’examinent alors intensément lors de notre passage. Ils baissent à peine le regard lorsque je les regarde. Aucunement timide, je suis habituée à me faire regarder en voyage. C’est normal, je ne suis pas chez moi. Blanche avec les yeux bleus, portant des vêtements différents, je puis comprendre que cela attire l’attention. Mais habituellement un sourire finit par détendre l’atmosphère et les salutations fusent. Pas ici. Je ne me sens pas en danger, juste scrutée intensément, dans un lourd silence. Sans gêne, ni respect. Lors d’un repas, je questionne notre cuisinier-chasseur-de-singes et il explique que l’intention de ces gens n’est pas d’être déplacés. Leurs actes découlent d’une simple curiosité qu’ils ne pensent même pas à dissimuler. Il s’agit souvent de gens qui ont peu vu de touristes. Je comprend mieux. D’autres femmes touristes m’ont confirmé que cela leur arrive aussi. Mais parfois c’est trop et mon amoureux se fâche par un bel après-midi alors qu’un groupe d’adolescents me regarde intensément, debout juste devant moi, assez près pour me toucher. Occupée à lire dans notre guide de voyage, j’ignore les intrus. Mais je ne pourrais faire un seul pas tant ils sont proches! Et « sir » Robert fait une colère et les chasse protégeant ainsi sa princesse.

Le lendemain, la visite du palais de Datia, le Birsingh Deo, s’avère aussi passionnante que celle des palais de Orchha. Nous sommes pratiquement seuls pour visiter l’ancienne résidence du maharaja. Il a plusieurs étages et même si j’ai le vertige, je ne veux rien manquer. Les quartiers du maharaja sont situés au centre du palais et sont répartis sur sept étages.

À la fin de la visite, le guide nous demande si nous voulons rester un peu pour jouir un peu plus longtemps de la vue du troisième étage. Nous acceptons et j’en profite pour prendre des photos. Robert pour explorer davantage. Au moment de redescendre, nous cherchons l’escalier. Totalement intéressés par les propos de notre guide, nous n’avons pas prêté attention. D’autant plus que les marches sont toutes dissimulées derrière un mur et qu’il est bien difficile de reconnaître l’escalier par lequel nous sommes montés. Il y a bien plusieurs descentes mais celles que nous empruntons sont verrouillées à l’étage du bas et il nous faut remonter. Nous finissons par retrouver notre chemin à l’aide des jeunes des environs qui se promènent par là. Quelle aventure!

En fin d’après-midi, alors que nous marchons à travers le marché de Orchha, l’attention de mon amoureux est attirée par un bel étalage de biscuits colorés disposés en pyramide dans une boutique située tout juste en bordure de la rue. Vous connaissez la passion de cet homme pour ces desserts, aussi bons pour les yeux que pour le palais. Il s’approche tranquillement pour mieux voir alors qu’une vache s’approche elle aussi, venue d’un autre côté. Assis devant sa propre boutique, un marchand de l’étal voisin, lève les yeux de son journal et aperçoit la vache qui s’approche de plus en plus. Il crie à son voisin qui accourt aussitôt de l’arrière de son magasin pour protéger sa marchandise. Il arrive tout juste après que la vache ait humé les pâtisseries et risqué un grand coup de langue. Il chasse l’intruse sans trop de ménagements. Le marchand replace tranquillement ses pâtisseries sous l’œil dégouté de mon amoureux…Pas de pâtisserie pour lui…la vache est arrivée première!

Notre séjour à Orchha est teinté d’expériences diverses. Ce soir nous soupons à notre resto préféré, mais à l’intérieur cette fois-ci pour éviter nos amis les singes. Cet endroit calme où les clients discutent tranquillement se transforme presque instantanément à l’arrivée de trois touristes qui se mettent à faire un vacarme assourdissant. Ils discutent fort et rient à gorge déployée. Ils ont trouvé le moyen d’avoir une bouteille de vin, une denrée rare à Orchha. L’alcool n’y est pas vendue ouvertement. En soit, il n’y a pas de mal à boire du vin et celui-ci provient Sula, un vignoble près de Nasik. Nous y avons fait un saut l’an dernier. Le vin est délicieux. Mais ce soir, le ton monte rapidement jusqu’à ce que le trio fasse un appel avec leur tablette électronique. Ils parlent tellement fort que plus personne ne s’entend parler. Ils crient et doivent répéter car leur interlocuteur ne semble pas comprendre. Robert leur demande poliment de baisser la voix. Mais il s’attire des refus et des insultes suivies d’une invitation à sortir du resto s’il n’est pas content. À notre grande surprise d’autres clients parlent leur langue et il s’ensuit une engueulade bien sentie. Un italien n’a pas apprécié les insultes que Robert a récoltées, il le dit haut et fort. Un autre couple vient à la rescousse. Tous sont dérangés par le trio et outrés de leur comportement. Mais rien n’y fait. Les serveurs découragés ne savent plus quoi faire. Ils appellent leur patron à leur secours. Une des femmes du bruyant trio se met à m’imiter lorsque je discute avec le serveur au sujet du plat qu’il vient de me servir. Je la regarde mais je ne dis rien et ne lui accorde aucune autre attention. Cela ne vaut pas la peine. Et cela ne mènera à rien. Si deux couples d’Italiens n’ont pas réussi à les arrêter, mieux vaut lâcher prise. Heureusement le patron arrive et se rend à la table du trio maléfique qui quitte le resto non pas sans avoir passé des commentaires désobligeants sur les plats qui leur ont été servis. Ouf! Nous avons droit à des excuses du patron et des employés. Mon amoureux fulmine, avec raison. Moi je me dis que la vie s’occupera bien d’eux. Mais cette aventure nous a quand même un peu secoués. C’est si loin de nos valeurs.

Au déjeuner, le lendemain matin, le cuisinier-chasseur-de-singes nous raconte que ces gens de la veille ne seront plus admis au resto et il avoue son impuissance. « Je sais comment agir quand il s’agit de gens de mon pays, mais hier soir c’étaient des étrangers, personne ne savait quoi faire… ». Mais bon, cette aventure nous a liés avec ce courageux Italien venu à la rescousse de Robert. Il a gagné mon respect pour la vie. Ainsi que sa douce Roberta, aussi ahurie que moi de voir son amoureux habituellement calme devenir si furieux! Espérons que nous pourrons nous revoir. En Italie ou au Québec. Nous allons certainement garder le contact.

Notre séjour à Orchha a été vraiment riche en aventures et en belles rencontres. Il y a aussi Marie et Patrice, rencontrés à notre hôtel pour une période trop courte. Nous gardons aussi le contact.

Avant notre départ, mon amoureux a bénéficié d’une coupe de cheveux qui s’avérait absolument nécessaire depuis un bon moment. Il a trouvé son compte chez un barbier installé dans un minuscule abri au bord de la route avec en plus, un bon rasage et de massage de tête. Il en est ressorti tout beau, tout frais.

Nous partons pour Gwalior par un bel après-midi en laissant une ville qui nous a fait passer par toutes les émotions. Heureusement, celles qui demeurent sont le souvenir des magnifiques palais et de belles personnes dont nous garderons un excellent souvenir.

7 réponses à “Les yeux de Orchha

  1. Zut alors …ils venaient d’où ces touristes mal embouchés? :-/

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    • La conversation s’est déroulée en espagnol alors je crois que l’une des femmes est espagnole pour les deux autres je n’en sais rien. Notre nouvel ami italien était outré et disait: « Et dire que c’est nous les Italiens qui avons la réputation d’être bruyants! » Mais à bien y penser, je pense que le manque de savoir vivre se retrouve chez toutes nationalités…

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  2. Lynda cloutier

    Wow quelles aventures, quels beaux endroits, les porches ,les arcs, les fenêtres . Toujours intéressant de te lire Jocelyne. Bravo à ton prince protecteur

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  3. Merci Lynda! Nous aimons errer dans ces galeries et passer sous ces alcôves…et même se perdre à l’occasion. À la prochaine!

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  4. Je suis contente de te lire, c’est si agréable, drôle aussi même si certains voyageurs ne partagent pas nos valeurs communes. Vivement le prochain récit. Je vous embrasse

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  5. Merci Karine! Nous t’embrassons aussi!

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  6. Janine , Robert

    Que font ces ´´gens ´´là aux milles et une nuits , ces temps immuables , ils n’ont rien compris .
    Magnifiques photos qui nous émerveillent . JaRo

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