Jusqu’à la frontière

Nous voilà de retour en Isan, au nord-est de la Thaïlande. Un coin de pays qui nous a valu un sérieux coup de coeur lors de notre dernière visite en Asie, il y a quelques années. À ce moment, nous arrivions du Cambodge où nous avions exploré les temples d’Angkor pour la deuxième fois. Et pour la seconde fois, nous étions tombés en amour avec l’héritage de la civilisation Khmer.

Cette année-là, nous avions prévu pousser notre exploration vers le nord-est de la Thaïlande et passer quelques jours en Isan, là où des sites khmers sont répertoriés, principalement dans la partie sud. Nous avions tellement aimé ce coin de pays et sa population accueillante que nous avions changé nos plans pour passer le reste de notre séjour en Thaïlande. L’Isan devint alors notre terrain de jeu. Un merveilleux souvenir.

Cette fois-ci, nous atterrissons directement à Bangkok avec le projet de nous diriger au sud de l’Isan, près de la frontière du Cambodge, de continuer ensuite vers le Mékong et de remonter vers le nord en longeant le fleuve pour visiter des villes que nous n’avons pas eu le temps de connaître lors de notre précédent passage. Notre séjour se terminera à Nong Khaï où nous traverserons au Laos en empruntant le Pont de l’Amitié vers Vientiane. Je crois que c’est un bon plan.

Je vous rappelle qu’il y a mille ans, probablement entre les années 800 et 1400 de notre ère, l’empire Khmer couvrait le Cambodge, débordait en Thaïlande, au Laos et au sud du Vietnam, constituant un immense royaume dont les temples les plus connus sont ceux d’Angkor. Malgré la distance, les temples du sud de l’Isan font partie de cet empire et à mon avis, valent amplement le détour. Parmi ceux que nous avons vu lors de notre précédent séjour, le site de Phimai nous a laissé des souvenirs inoubliables.

Nous choisissons de loger à Nang Rung, une petite ville où nous avons séjourné lors de notre première visite en Isan. Mon objectif principal est de nous rendre au Prasat Ta Muen, situé juste à la frontière du Cambodge et de la Thaïlande. Ces ruines Khmers nous semblent fort intéressantes autant par leur histoire que par leur situation géographique. J’ai lu que le Cambodge et la Thaïlande se sont ardemment disputé l’appartenance de ce site à travers les années et que même aujourd’hui, le désaccord demeure. Pour l’instant, il semblerait que la situation soit calme, alors allons-y!

Dès notre arrivée à Nang Rung, nous réalisons que nous aurons besoin d’un traducteur pour toute communication. La plupart des gens que nous avons rencontrés parlent un anglais rudimentaire ou même pas du tout. Nous n’avons rien à dire, notre connaissance du Thaï est encore moindre. Heureusement, la technologie nous sert bien et nous avons une application sur nos cellulaires qui fait office de traducteur. Presque la totalité de nos discussions se fera téléphone à la main, avec l’aide du traducteur. Les jeunes d’ici ont vite compris l’importance de cette application, ils sortent leur téléphone aussitôt que nous sortons le nôtre. Les échanges sont un peu plus longs mais plus efficaces.

À notre demande, la réceptionniste de l’hôtel nous aide à organiser un transport jusqu’au Prasat Ta Muen. Elle ne connaît pas ce site et en regardant notre carte, elle nous précise que les vestiges sont dans la province de Surin alors que nous sommes dans la province du Buriram. En effet, nous aurions pu faire le trajet à partir de Surin, mais nous voulons revoir Prasat Phanom Rung et sa voisine Prasat Muang Tam. Ils sont un peu plus près dans le Buriram, d’où le choix de Nang Rung comme notre point d’ancrage. Le taxi est réservé pour le lendemain, mais nous savons désormais que c’est une excursion peu courante pour la région et que la route sera longue.

Le trajet se déroule bien, même si notre chauffeur semble chercher son chemin. Il conduit la tête penchée sur son cellulaire, passe quelques appels, puis conduit de nouveau tête penchée sur son appareil. Il lève le nez de temps en temps pour regarder autour de lui. Inquiète, je souhaite qu’il n’oublie pas qu’il est en train de conduire!!! En fait il perd son chemin à quelques reprises et c’est mon amoureux qui le remet sur le bon trajet avec l’aide de Google Maps. Depuis que nous achetons des cartes SIM du pays que nous visitons, l’accès à internet a changé notre façon de voyager. Aujourd’hui, nous sommes chanceux, le réseau se rend dans ce coin de pays plutôt éloigné des grandes villes et nous pouvons guider notre chauffeur.

Finalement tout semble s’arranger et nous arrivons à l’entrée du périmètre surveillé par les militaires. Nous savions que l’armée contrôle les alentours du site et que nous aurions vraisemblablement à montrer des pièces d’identité, peut-être même à les laisser à l’entrée. Nous risquons de voir des militaires sur le site principal. En fait nous pourrions aussi rencontrer des militaires Cambodgiens. La situation est calmée, mais le litige demeure.

Personne ne nous arrête à la première guérite et nous passons notre chemin.

Le complexe de Prasat Ta Muen Thom présente 3 sites. Les deux premiers ne comportent qu’un seul édifice intact chacun, même si des restes des autres constructions autour d’elles demeurent visibles. Nous tenons quand même les admirer et lorsque nous passons devant le premier, Prasat Ta Muen, nous demandons au chauffeur de s’arrêter.

Aussitôt que nous sortons de l’auto, l’homme ouvre le capot de la voiture et porte son téléphone à son oreille. Mon attention se tourne vers les ruines que nous voulons admirer et j’oublie le comportement du chauffeur.

Au milieu de la jungle, les restes assez bien conservés d’un temple Bouddhiste, nous ramènent au temps de ce peuple ancien. Il est construit en latérite et le rouge de ses briques tranche sur le vert de la jungle. Nous sommes seuls et c’est presque dans le silence que nous en faisons le tour, émerveillés.

Lorsque nous revenons vers l’auto, le capot de la voiture est toujours ouvert et notre chauffeur semble inquiet. Il explique à mon amoureux que la batterie ne se recharge pas. Il ferme le capot et nous reprenons tout de même la route, mais je le sens préoccupé.

Quant à moi, je n’ai aucune intention de m’en faire avec une situation à laquelle je ne peux rien. Au pire, nous serons temporairement en panne. C’est tout!

Le deuxième site, Prasat Ta Muen Tot est un ensemble tout aussi isolé, mais entouré d’un mur protecteur, lui aussi en latérite. Il révèle les restes d’un dispensaire datant du 13e siècle de notre ère. Il comprend une tour principale, deux petites tours et deux bibliothèques. Aujourd’hui ses ruines s’élèvent seules sur le bord du chemin, avec les oiseaux comme témoins de ces temps anciens. Construit sous les ordres du roi Jayavarman VII, les archéologues y auraient retrouvé des allusions aux médecins et au personnel qui travaillaient à cet hôpital. Il y a de quoi rêver. Moi, je suis impressionnée, un hôpital du 13e siècle!

Heureux, nous retrouvons ce plaisir que nous éprouvons lorsque nous explorons des sites archéologiques: une admiration sans fin envers ces constructeurs des temps lointains et ces civilisations qui ont bâti la nôtre.

C’est à notre arrivée au site principal Prasat Ta Muen Thom (Bai Grim) que la présence militaire se fait réellement sentir. Nous traversons ce qui est clairement un campement militaire avant d’arriver à un petit stationnement. Finalement, le nom du site est inscrit en grosses lettres rouges qui se découpent sur le fond vert de la jungle. Nous y sommes! Dès notre descente du taxi, un militaire nous fait signe d’avancer en nous montrant l’entrée d’un geste de la main.

Je suis mon amoureux, le coeur battant. J’ai tellement rêvé de voir ce site! Construit au 12e siècle, il est plus ancien que ceux que nous venons de visiter. Alors que nous suivons un sentier vers cet endroit mythique, le trajet m’apparaît interminable. Pourtant il s’agit d’à peine quelques dizaines de mètres. Soudain, les premiers édifices se dressent devant nous, inondés de lumière. Comme tout est tellement paisible ici! Le complexe semble complètement endormi sous le chaud soleil, entouré d’une dense végétation. En effet, construit sur la montagne Phanom Dong Rak, le Prasat Ta Muen est situé au milieu de la jungle. Dès le premier regard nous réalisons qu’il a bien mérité que nous fassions le trajet.

Les militaires sont là, assis sur les grandes pierres devant les édifices, consultant leur téléphone. Aucun mot n’est prononcé, aucun regard n’est lancé dans notre direction comme s’ils avaient uniquement senti notre présence. Je commence mon exploration des ruines, en prenant bien soin de ne pas prendre les militaires en photo. Au bout d’un moment, ils se déplacent silencieusement vers une autre partie du site. Je les entends à peine.

Après quelques minutes, l’un des militaires s’approche et nous prend en photo, un autre jeune homme nous demande d’où nous venons. Il ajoute fièrement qu’il est ThaÏ, en se pointant la poitrine du doigt. Je me dis intérieurement que cela tombe sous le sens, mais je lui souris poliment en hochant la tête pour lui indiquer que j’ai compris. Tout se fait dans le calme, presque à voix basse. Nous reprenons notre visite, le soleil est chaud et un léger vent se fait sentir. Des ruines, un temps radieux et mon amoureux…mon bonheur est complet.

Nous savons que nous devons rester près des constructions car à l’opposé de l’entrée où nous sommes arrivés, à quelques mètres de l’un des édifices, un escalier très ancien mène directement au Cambodge. Il est hors de question de nous y aventurer, nous serions alors en effraction et nous voulons éviter cela. Pas besoin de complications. Mon amoureux, toujours aussi curieux, s’avance vers le large escalier qui descend vers la forêt cambodgienne, juste pour voir au bas des marches. J’ai la même curiosité, mais un petit quelque chose me retient. Un militaire s’avance silencieusement et se tient debout, bien droit, sur le côté de ce que je devine être la limite du territoire. Il nous observe. Je lui fais signe que nous n’irons pas plus loin et je vois paraître un sourire très subtil. Je demande à mon amoureux de ne pas tester les limites et nous revenons à notre exploration vers le centre du complexe.

Comme j’aime bien le faire, nous nous assoyons afin de consulter la documentation et mieux comprendre ce que nous observons. Mon amoureux me fait la lecture à voix haute en même temps que je retrouve les repères qu’il me nomme. Nous sommes à même d’observer les dommages occasionnés par le passage des Khmers rouges lors de la guerre au Cambodge, ils sont clairement visibles. Des pièces inestimables ont été à jamais détruites.

Du coin de l’œil je vois un mouvement vers la section située plus près du Cambodge: d’autres militaires sont assis un peu plus loin, près de l’escalier interdit, tout aussi calmes que ceux que nous avons rencontrés plus tôt. Assis en cercle, ils discutent entre eux sans nous lancer un seul regard. La couleur du camouflage de leur uniforme est un peu différente et je comprends. Ils sont Cambodgiens! Je saisis mieux maintenant le commentaire du jeune homme qui s‘est identifé comme un Thaï. Les deux milices se côtoient sur le même site, mais s’ignorent allègrement!

La présence des militaires, les vestiges Khmers à la limite des deux territoires et les traces des bris faites par les Khmers rouges ajoutent une atmosphère presque irréelle à ce site, petit mais absolument magnifique.

Heureux de notre visite, nous prenons le chemin du retour alors que notre chauffeur s’inquiète toujours pour la batterie de sa voiture et qu’il cherche encore un peu son chemin à certaines intersections.

De mon côté, tout va bien, merci la vie.

Nous prenons le repas du soir dans un joli restaurant décoré de lumières de toutes les couleurs. La nourriture est délicieuse. Ce resto est situé à quelques rues seulement de notre hôtel, un avantage certain si l’on considère que la nuit tombe tôt et que les rues sont à peine éclairées. Il deviendra notre repère pour les autres soupers que nous prendrons à Nang Rung.

Le lendemain matin, nous retrouvons le même chauffeur pour nous rendre à Prasat Phanom Rung et Prasat Muang Tam. Il est très heureux de nous dire que sa voiture est réparée et que la batterie se recharge correctement. Il est tout sourire.

Nous avons affaire avec un homme différent aujourd’hui!

Nous connaissons déjà les sites archéologiques que nous nous apprétons à visiter, mais il nous fait plaisir de les revoir.

Le premier complexe, le Prasat Phanom Rung, situé au sommet d’un ancien volcan, nous invite à gravir une volée de marches, plus ou moins à hauteurs égales. C’est trop joli! Il existe bien une autre entrée, sans le long escalier, mais ces marches et la grande allée qui les précèdent font partie intégrante de l’entrée principale du complexe. Je ne veux pas m’en priver!

Arrivés en haut, la vue exceptionnelle nous rappellle que le complexe est construit au sommet du Khao Phanom Rung, à 350 mètres au-dessus du niveau de la mer. Selon les informations à l’entrée du site, le volcan est éteint depuis plus de 900,000 ans et c’est au début de la construction du site que des altérations au cratère auraient créé une réserve d’eau suffisante pour la consommation des habitants.

Je lis que les différentes structures du Prasat Phanom Rung ont été érigées en quatre périodes datant du 10e siècle au 13e siècle. Tout d’abord un site de religion hindouiste, plus spécialement dédié à Lord Shiva, le dieu suprême de l’univers. Des inscriptions portent à croire que le constructeur serait Narendrathit, un parent du roi Jayyvarman VII. Par la suite, le site est devenu Bouddhiste, pour évoluer graduellement vers le style que nous observons aux temples d’Ankor.

Un peu plus loin, des bassins avec des nénuphars nous accueillent. C’est aussi impressionnant que dans mon souvenir!

Nous prenons notre temps pour revoir toutes les structures et lire les explications devant les points d’intérêt. Heureusement pour nous, une version anglaise est ajoutée à celle en Thaï! Partout nous retrouvons des références à la religion Hindoue et les informations nous permettent de nous y retrouver. À l’intérieur d’un long couloir du bâtiment principal, nous observons un lingam. Un peu plus loin, un taureau de pierre est superbement conservé. Nous observons plusieurs personnes s’agenouiller devant et se mettre en position de prière, les mains jointes, paume contre paume devant leur yeux, la tête respectueusement penchée. Je me retire discrètement.

Nous redescendons le grand escalier, heureux d’avoir pris le temps de revoir cet impressionnant complexe. Nous y avons retrouvé des points de vue que nous avions aimés, mais nous en avons appris encore un peu plus sur l’histoire reliée à ce site. Nous rejoignons notre chauffeur qui se détend sous les arbres en nous attendant, assis avec les autres chauffeurs.

Le Prasat Muang Tam, le deuxième complexe, situé en bas dans la vallée, est plus petit, mais non moins joli avec ses bassins en forme de L aux quatre coins du complexe. Ils sont couverts de nénuphars, des marches conduisent jusqu’à l’eau.

Comme d’habitude, nous nous isolons dans un petit coin à l’ombre pour que mon amoureux nous fasse la lecture des informations disponibles sur le site. J’apprends que la date de la construction de ce site n’est pas encore connue, mais les bas-reliefs correspondant aux rois hindous portent à croire que les constructions auraient été érigées du 10 ième au 13e siècle de notre ère.

Il fait chaud à cette heure de la journée, nous buvons beaucoup d’eau et prenons notre temps pour mieux profiter de notre visite. Je suis convaincue qu’il faut prendre le temps de s’asseoir et d’apprécier les lieux pour pouvoir dire que nous les avons visités. Juste en faire le tour n’est pas suffisant. Il faut s’asseoir et se permettre de rêver.

Nous reprenons la route, complètement ravis de notre journée. Nous aimons vraiment les vieilles pierres.

Encore une fois, merci la vie!

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Avant de vous quitter, j’aimerais vous partager quelques trucs. Depuis quelques années, nous achetons des cartes SIM à notre arrivée au pays, surtout pour avoir un accès internet. Cela permet d’avoir accès à nos applications en tout temps: WhatsApp, Google Maps, Google translate, Skype…Nous sommes plus autonomes et nous trouvons nos informations plus rapidement. Réserver un billet d’avion ou une chambre d’hôtel, même assis sur un banc de parc, devient facile. De plus, les données cellulaires sur téléphone sont souvent plus efficaces que le service internet fourni par l’hôtel. Cet achat ne coûte pas très cher, beaucoup moins cher que chez nous et ça fait une réelle différence.

15 réponses à “Jusqu’à la frontière

  1. Merci la vie ✨
    Je me suis assise aussi et pris le temps comme toi de regarder, m’imprégner, ressentir ! Merci mon amie de ce beau cadeau 💝

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  2. Vraiment un coin que j’aimerais voir , beaucoup de similitudes avec Angkor Wat, Jocelyne, ta description des lieux et ton histoire avec le chauffeur, font qu’on y était presque.

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  3. Quel beau voyage ! Jocelyne et Robert que vous faites c’est extraordinaire votre documentations et les photos à couper le souffle vous êtes meilleurs que les reportages de la télévisions continuez votre beau séjour et porter vous biens tous les deux que j’adore Joël
    merci de me les transmettre

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  4. Merci pour ces récits très intéressants. Beaux souvenirs pour moi aussi mais moins documentés.

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  5. Avatar de Desrosiers Denis Desrosiers Denis

    denisro93@gmail.com* * denisro93@gmail.com denisro93@gmail.com* Bonjour ou bonsoir, j’édite. Votre régis est merveilleux et les photos sont impressionnantes. Merci de nous partager votre passion. Au plaisir! Denis

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  6. Magnifique! J’ai maintenant juste envie d’aller poser mes mains sur ces pierres. Merci Jocelyne de partager la beauté du monde

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  7. bravo pour vos récits et votre philosophie de la vie!🌻

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  8. Avatar de perrierfrancine212 perrierfrancine212

    Superbement écrit,on dirait que je suis là,avec vous ,j adore quand tu dis ; mon amoureux, merci,merci,merci.

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