Medellin, Colombie.

Nous arrivons à Medellin au coeur de la nuit. Épuisés.

Notre vol en provenance de Cartagène, prévu à 17h15, a décollé quelques minutes après minuit.

Un immense orage s’est abattu sur la ville, un peu avant l’heure prévue pour notre embarquement. Pluie intense, forts vents, éclairs et tonnerre, rien ne manquait pour en faire une tempête parfaite. L’aéroport a été fermé, impossible pour les avions de décoller ou d’y atterrir. Pendant plusieurs heures, nous nous sommes retrouvés prisonniers de cet espace restreint avec d’autres voyageurs, incapables eux aussi de prendre leur avion. Tous les sièges étant occupés, plusieurs personnes ont dû s’asseoir par terre ou de dormir sur le sol, adossés à leur sac à dos.

À certains endroits, la pluie s’est introduite par le plafond, rendant le sol glissant et plusieurs sièges inutilisables.

Lorsque nous avons réalisé que notre vol était retardé, je me suis dirigée vers le guichet de la compagnie avec laquelle nous devions partir. J’ai dû attendre un très long moment, en compagnie de deux autres femmes, elles aussi en quête de renseignements. Elles m’ont aidée à comprendre ce qui se passait. L’espagnol est ma troisième langue et j’ai beaucoup à apprendre, surtout que les Colombiens parlent très vite. Les annonces au micro dans une salle bruyante où l’écho est roi, n’arrangent rien. J’ai donc fait la file avec elles, parmi d’autres passagers à la recherche de réponses.

Lorsque je suis finalement revenue vers Robert, deux jeunes hommes se tenaient près de lui, plongés dans une discussion qui m’apparaissait intense. Même de loin je voyais leur attitude pas très amicale devant mon amoureux qui se tenait droit et arborait une attitude calme, mais déterminée. La conversation s’est interrompue aussitôt que les jeunes hommes m’ont aperçue, ils ont ramassé leurs bagages et sont partis, l’air penauds. Robert m’a raconté qu’ils insistaient pour avoir la place libre à côté de lui et qu’ils ne le croyaient pas quand il disait que j’allais revenir. C’est vrai que j’ai été partie longtemps, la file d’attente était longue. Ont-ils cru que mon amoureux gardait le siège uniquement pour y poser deux sacs à dos? Comment expliquer qu’ils étaient deux à argumenter pour obtenir un seul siège?

Je n’ai pas compris.

Finalement, après plusieurs annonces confirmées, puis annulées, notre vol a été annoncé un peu après minuit et nous nous sommes envolés, à la fois incrédules et soulagés.

Nous arrivons à Medellin, très tard dans la nuit, fourbus. Un grand calme nous envahit lorsque notre taxi s’arrête devant notre hôtel, illuminé et entouré de grands arbres. Nous sommes au coeur de la ville et contrairement à ce que nous aurions pu penser, des gens circulent tranquillement, même à cette heure avancée.

Malgré notre fatigue, nous sommes admiratifs en arrivant sur le balcon du sixième étage, juste devant notre chambre. Medellin dort à nos pieds, toute illuminée.

Un beau séjour s’annonce.

Nous avons prévu passer quelques jours à Medellin pour visiter quelques musées ainsi que des endroits mythiques de cette ville dont je rêve depuis longtemps. L’histoire nous passionne et nous voulons en apprendre davantage sur celle de Medellin et de ses habitants. Pour nos déplacements, nous prévoyons marcher quand la situation nous apparaîtra sécuritaire ou prendre le métro pour les visites plus éloignées. La station du métro la plus proche de notre hôtel est à une bonne distance de marche, en descendant vers la vallée. Le retour après les visites sera plus difficile car la montée sera longue et passablement abrupte, mais ça va aller.

Nous achetons une carte de métro à laquelle nous ajouterons le montant requis pour couvrir le prix de nos trajets. Elle nous servira tout au long de notre séjour. C’est facile et comme le métro est aérien, la vue sur la ville est superbe. Mes yeux ne sont pas assez grands pour tout voir.

Je suis émerveillée, je suis heureuse.

Notre première destination, le musée d’Antioche, est situé juste en face de la Plaza Botero, un joli parc où sont exposées d’immenses sculptures de cet artiste si prolifique. Une exposition de Botero en plein air, un vrai luxe. Les gens circulent autour des œuvres gigantesques pour mieux les admirer, puis ils se font prendre en photo. Je suis impressionnée par la générosité de cet artiste, natif de Medellin.

À l’intérieur du musée, nous comprenons qu’une partie de l’exposition est aussi consacrée à Botero, à son histoire, sa démarche artistique. C’est dans l’une de ces salles que j’ai vu certaines de ses œuvres qui m’ont particulièrement touchée, je suis restée longuement devant elles. Je crois que ma préférée est une toile représentant une femme portant un immense chapeau. Je ne sais pourquoi, je n’arrivais pas à m’en détacher les yeux. Malheureusement, la prise de photos étant interdite, je ne peux vous partager mes coups de coeur. Ils resteront tout de même inscrits dans ma mémoire et je vous souhaite de tout coeur de pouvoir admirer des œuvres de cet artiste.

Nous avons passé un bel après-midi à lire sur l’histoire de l’art en Colombie et à admirer des œuvres d’artistes du monde entier. Le retour vers l’hôtel à partir du métro a été ardu, bien sûr, mais il s’est bien passé. Nous sommes trop heureux pour nous plaindre.

Une autre visite incontournable de Medellin est la Comuna 13. Ce quartier a été sous l’emprise de gangs rivaux qui ont terrorisé les habitants pendant des années, découpant la Comuna en frontières invisibles. Il valait mieux ne pas les franchir si l’on voulait rester en vie. Aujourd’hui, la paix est revenue et la Comuna 13 a repris le contrôle de son territoire, ses habitants ayant choisi de s’exprimer par l’art et de devenir un modèle de résilience.

À la sortie du métro, nous nous avançons vers les guides, regroupés sous des parasols, en attendant les touristes. Ils sont faciles à reconnaître, ils portent des chandails qui les identifient. Plusieurs compagnies sont représentées. Nous aurions pu réserver en ligne, mais nous avons choisi de nous rendre sur place, c’est facile d’y trouver un guide.

Nous avons été chanceux, natif de la Comuna 13, notre guide vit ici depuis sa naissance. Dès le début de la visite, il raconte la vie de son quartier, les enjeux de violence, puis le retour vers la paix et le développement de l’art de rue. C’est l’histoire de son enfance et celle de sa famille. Nous sommes touchés par la simplicité de ses propos, le ton de ses récits, la sincérité de ses mots.

Jeune enfant, il a connu les barrières invisibles qui divisaient les territoires des différents gangs, il devait les contourner pour se rendre à l’école, allongeant considérablement son trajet. À plusieurs reprises, il a vu les soldats envahir la maison familiale, construite sur les hauteurs de la Comuna. À cette époque tourmentée, les maisons situées tout en haut du quartier étaient facilement réquisitionnées par les gangs pour la vue stratégiques qu’elles offraient. Les hommes armés pouvaient y observer ce qui se passait dans la vallée et obtenaient ainsi un avantage certain sur leurs adversaires.

Notre guide se décrit comme un survivant, il affirme à plusieurs reprises, non sans émotion, que ses amis sont soit en prison, soit décédés. Il nous le répètera à plusieurs reprises lors de la visite, comme s’il n’en revenait pas lui-même d’avoir survécu et de profiter librement de sa vie.

Je crois que ce sont ses silences qui me touchent le plus, ils surviennent parfois au milieu des explications, comme si ses souvenirs se bousculaient dans sa tête, mais qu’il n’osait les formuler. La vérité toute nue n’est pas toujours facile à exprimer.

Depuis la fin de l’occupation des gangs, des escaliers roulants ont été aménagés afin que les habitants puissent se déplacer plus facilement. Il faut dire que la montée vers le sommet est abrupte, coupée d’escaliers interminables et de rues pentues. La Comuna 13 regorge de murales exquises, racontant en images l’histoire du quartier. Elles traduisent un message d’espoir et de paix, elles décorent de petits cafés où il fait bon s’installer pour observer la vie de ce quartier si vivant. Une multitude de boutiques recèlent de petits trésors inspirés de cet art qui guérit. Je comprends que la Comuna 13 a choisi la paix et désire être un exemple, un modèle à suivre pour vivre dans le calme. La communauté a non seulement choisi l’art comme moyen d’expression, mais aussi de guérison. Les murales qui font partie du paysage urbain, la musique est omniprésente, l’artisanat émerveille, tout a été mis en place pour faire oublier la violence vécue si longtemps.

Aujourd’hui c’est la fin des vacances, il y a tant de monde que c’est difficile de tout voir ou de se déplacer sans être bousculés. Prendre une photo demeure un tour de force. Nous choisissons de monter les escaliers de pierre au lieu de nous entasser dans les escaliers roulants remplis à craquer de visiteurs et certainement, de pick pockets. Il fait chaud, il ne faut pas perdre le guide de vue, c’est une visite très exigeante, mais en retour nous en avons plein les yeux, épatés et émus par l’histoire de ce peuple si résilient.

Il nous reste pourtant un dernier escalier à monter, il mène sur le toit de la maison de notre guide. Sa famille y tient un petit resto avec une vue superbe, spectaculaire. Avec un air particulièrement attristé, notre guide nous rappelle que les hommes armés venaient y faire le guet puis, le regard éteint, il nous pointe un espace plutôt dénudé, au loin, de l’autre côté de la vallée. Une cicatrice dans la montagne, impossible à oublier. C’est l’endroit où des corps ont été retrouvés, ensevelis dans ce qui ressemble à une fosse commune. Plusieurs de ces dépouilles ne seront jamais identifiées, laissant leur famille dans le doute.

Je suis impressionnée, je suis touchée. La paix est si fragile…

Sous une faible pluie, nous prenons le bus local pour redescendre vers le métro, heureux, mais secoués de notre visite.

Les jours passent, nous apprécions notre séjour. Comme à chaque fois que nous déposons nos valises pour quelques jours, nous développons de petites habitudes. Cette fois-ci ne fait pas exception. Nous prenons notre petit déjeuner dans un charmant resto, autour d’un patio où nous profitons du bruit apaisant de la fontaine où viennent se poser des oiseaux colorés. Le service est impeccable. En Colombie, un 10% est ajouté à la facture pour le service, c’est au client de l’accepter ou de la refuser. Dans ce resto, on nous demande avec beaucoup d’élégance la permission de l’ajouter.

Mon amoureux a trouvé un resto végane près de notre hôtel. Il est bondé tous les soirs et il faut souvent attendre qu’une table se libère. Cela me permet d’observer ce qui se passe autour de nous, une occupation que j’aime bien. En arrivant dans le resto, une serveuse accueille les gens et les dirige vers une table libre, d’un élégant geste de la main. Survient alors un autre serveur qui lui, décide où s’assoient les clients et contredit ouvertement la première serveuse, quitte à faire déplacer les clients qui viennent à peine de s’installer. Ce n’est pas confortable, je vous l’affirme, j’ai goûté à sa médecine. Il m’a fait me déplacer sans trop de ménagements et même aujourd’hui, je trouve son explication un peu farfelue. Pourquoi nous sommes revenus malgré que ce manège se répète tous les soirs? Nous avons tout simplement décidé d’en rire. La nourriture est absolument délicieuse et juste la présentation donne l’eau à la bouche! Comme la cuisine est ouverte sur la salle à manger, le passage des plats colorés nous donne le goût d’y revenir!

Tel que prévu, nous empruntons le métro tous les jours, c’est un moyen très efficace pour explorer différents quartiers. Aujourd’hui, mon amoureux m’amène au centre-ville, un lieu vivant et grouillant de marchands. Certains se promènent avec leur étal sur roues, arpentant les rues bordées de commerces de toutes sortes tandis que d’autres attendent la clientèle, debout sur le pas de la porte de leur commerce. Nous aimons cette atmosphère.

Aujourd’hui, Robert a prévu une surprise. C’est habituellement lui qui repère les restaurants, il a un talent pour cela et je me laisse guider. Cette fois-ci, mon étonnement est complet. Nous arrivons devant le Salón Málaga, une institution dans son genre. Ravis, nous nous attablons en admirant ses murs couverts de photos d’époque, le mobilier art déco et la décoration qui date d’un autre âge. C’est l’heure du café au siècle dernier, profitons-en!

Pour terminer notre séjour, nous visitons le musée d’Histoire, situé dans un quartier un peu plus éloigné de notre hôtel. Pour nous y rendre, nous prenons de nouveau le métro et, pour la première fois, le tramway. Un tramway tout neuf et très moderne. Notre trajet se termine par une marche dans les rues bordées de beaux immeubles entourés de grilles. Un autre endroit à découvrir.

Le musée est impressionnant. Interactif, il recrée l’histoire du pays par des découpures de journaux, de reportages, des vidéos de personnes qui témoignent de leur vécu pendant toutes ces années de violence. Nous y passons plusieurs heures à parcourir les archives pour mieux comprendre, pour faire des liens avec l’information que nous possédons déjà. Plusieurs images ne se sont jamais rendues jusqu’à nous. C’est confrontant, c’est touchant. Vous avez compris que la violence ne s’est pas limitée à la Comuna 13 de Medellin, mais qu’elle était répandue dans tout le pays, pendant des décennies.

Nous ressortons un peu ébranlés de ce que nous avons appris, de ce que nous avons compris, encore une fois touchés par ce peuple qui a choisi de conjuguer les effets de la violence par l’art, la peinture, la musique, bien déterminé sauvegarder la paix, à guérir. Un peuple tourné vers le futur.

Mais la paix est si fragile…

L’heure du départ arrive plus vite que nous l’aurions souhaité et nous quittons Medellin un peu à regret. Cette ville est tellement vivante et résiliente! Mais d’autres découvertes nous attendent dans la région caféière du pays. Nous continuons notre chemin en nous disant que nous reviendrons peut-être, si la vie nous le permet.

Jocelyne xxx

Avant de vous quitter

* Nous aimons bien prendre les transports en commun. Parce que c’est un bon moyen de nous déplacer, bien sûr, mais aussi parce que cela nous permet d’observer les gens du pays dans leur quotidien. Du moins, ceux qui utilisent les transports en commun. Nous n’avons pas nécessairement les interactions avec eux, mais cela nous donne une idée du pouls d’un pays. En Colombie par exemple, même dans les transports bondés, je n’ai fait aucun trajet debout, une place assise m’était automatiquement offerte. C’est la règle ici, les personnes aux cheveux blancs, les femmes enceintes ou avec un enfant dans les bras se voient offrir un siège. Au début je refusais, mais j’ai changé d’idée. Les sièges m’étaient offerts avec toute la gentillesse du monde, j’ai décidé de recevoir cette gentillesse et d’offrir mon plus beau sourire en remerciement.

* Qui dit transports en commun ou endroits bondés, dit aussi risque de se faire piquer des objets à notre insu ou pas. Les pickpockets existent partout, mais ici nous avons entendu plusieurs avertissements. Depuis quelques années, nous avons pris soin d’acheter des sacs à dos ou des sacs de jour qui nous protègent et ralentissent le travail des voleurs. Nos sacs résistent aux couteaux qui pourraient les taillader, les fermetures éclair se verrouillent à l’aide d’une petite serrure. Une des ganse de nos sacs se défait à l’aide d’un autre petit mécanisme, nous permettant de fixer solidement notre sac à un chaise ou une table pendant que nous sommes assis dans un resto, particulièrement si nous mangeons à l’extérieur. Nous nous sentons plus en sécurité, même si nous savons qu’en cas d’agression, nous devrions tout de même laisser nos possessions pour éviter les blessures. Plusieurs compagnies offrent ces sacs spécialisés et il vous suffit de magasiner un peu pour trouver ce qui vous convient. Ces sacs sont plus chers, je vous l’accorde, mais ils peuvent vous éviter bien des désagréments.

Une réponse à “Medellin, Colombie.

  1. Bonjour Jocelyne,

    L’Art adoucit les moeurs et la beauté rend heureux.

    Merci de partager ces trésors.

    John

    J’aime

Répondre à franklynjohn Annuler la réponse.