Bodh Gaya, un village construit près de l’emplacement où Lord Bouddha a eu son illumination suite à une longue méditation sous un arbre appelé Boddhi. L’endroit est devenu un site de pèlerinage et l’empereur bouddhiste Ashoka y a fait ériger le temple Mahabodhi quelques 250 années plus tard. C’est notre prochaine destination après Kolkata.
Nous prenons le train de nuit.
Ce soir, nous partageons un espace de six couchettes. Deux autres lits accommodent deux personnes, le long du couloir. Huit places dans un endroit assez restreint. Mon amoureux et moi aimons les trajets en train car ils offrent de belles occasions de faire des rencontres inoubliables. Cette fois-ci ne fait pas exception. À notre arrivée, un Indien est assis devant nous. Il se rend à Gaya, chez sa belle-famille, pour ramener sa femme, son fils de 5 ans et un bébé de quelques semaines. Un homme charmant avec un bel anglais et de belles manières. Peu avant le départ, un jeune asiatique se joint à nous. Grand, souriant et heureux d’apprendre qu’il est dans le bon wagon et qu’il n’est pas le seul à se rendre à Bodh Gaya, située à plusieurs kilomètres plus loin que Gaya… Un trajet en rickshaw s’imposera.
Pendant la soirée, alors qu’un vendeur de tchaï fait sa tournée, le jeune homme asiatique demande le prix puis en achète un. Il sort une liasse de roupies et paye sa consommation. Nous le regardons tous avec des yeux ronds. Sortir son argent de cette façon est bien la dernière chose à faire. Une règle élémentaire que n’importe lequel routard connaît bien. Mieux vaut ne pas étaler ses possessions. Notre co-locataire indien lui explique de ne pas se comporter ainsi. Mais le jeune homme comprend très peu l’anglais et le parle encore moins. Peine perdue. Questionné sur ses projets à Bodh Gaya, il balbutie quelques mots en anglais. Il y restera une seule nuit et je pense qu’il n’a pas d’hôtel. Il a l’air un peu perdu et pas très organisé. L’homme indien a les yeux de plus en plus inquiets. Finalement, le jeune asiatique sort son cellulaire et les deux hommes discutent à l’aide d’un traducteur. Le calme revient.
Je commence à aimer ce grand asiatique qui, malgré son air naïf, a la technologie de son côté et sait comment l’utiliser. Nous préparons les couchettes et après nous avoir salué très poliment, le jeune homme gagne celle qui lui est réservée, au dessus de celle de Robert et de la mienne. Au moment de fermer la lumière, l’homme indien nous dit: « Je suis inquiet pour lui » en indiquant le jeune homme endormi sur la couchette du haut.
Plus la nuit s’installe, plus l’air se rafraîchit. Nous sommes dans un « sleeping class », la classe la moins luxueuse. C’est tout ce qui nous restait lors de l’achat des billets. Les fenêtres ne ferment pas juste et le vent s’infiltre. Les habitués ont d’épaisses couvertures avec eux. Pas nous. Pourtant, nous avions prévu une température froide sur le train, mais pas à ce point. Malgré nos vêtements les plus chauds, le froid nous glace jusqu’aux os. En pleine nuit nous ouvrons nos bagages pour ajouter des couches de vêtements. Puis, nous quittons nos couchettes respectives pour nous blottir l’un contre l’autre et garder ainsi notre chaleur. Jusqu’au petit matin.
Les trains en Inde n’annoncent pas le nom des gares où ils entrent, alors il faut être vigilants. Dans le cas d’un train de nuit, mieux vaut mettre une sonnerie pour se réveiller avant l’arrivée prévue. Histoire de se préparer et de rassembler les bagages. Et surtout d’arrêter à la bonne gare. Ce matin, notre train a plusieurs heures de retard, c’est encore un peu plus compliqué car l’heure prévue de l’arrivée du train ne sert plus de repère. Notre compagnon indien connaît déjà le trajet et essaie lui aussi d’évaluer le temps qui nous reste avant de descendre.
Le jeune asiatique se lève à son tour. Mais encore une fois, il fait sourciller notre co-locataire indien avec son peu d’anglais et son allure un peu perdue. Celui-ci essaie de lui expliquer de ne pas acheter ses billets de train dans une agence à Bodh Gaya. Ce sage Indien ne semble vraiment pas faire confiance aux commerçants de cette ville. En souriant, Robert et moi écoutons ses recommandations sur les règles de sécurité. Il s’inquiète au sujet de notre compagnon asiatique. J’avoue que celui-ci semble être une proie facile. Jusqu’au moment où il sort son cellulaire, consulte son GPS et nous informe que nous sommes presque arrivés. Il se lève et rassemble ses affaires sous l’œil éberlué de notre compagnon indien!
À l’extérieur de la gare, l’Indien négocie le prix du rickshaw, monte avec nous ainsi que notre nouvel ami asiatique. Arrivé à destination, avant de descendre alors que nous continuons notre route, il nous demande par signe d’aider notre jeune compagnon. Nous acquiesçons même si je crois que le jeune homme sait très bien se débrouiller seul. Il est arrivé jusqu’ici, non?
Le trajet en rickshaw entre Gaya et Bodh Gaya, nous expose au vent frais du petit matin et nous arrivons à destination complètement frigorifiés. Au moment de payer le chauffeur de rickshaw, notre compagnon de fortune sort sa liasse de billets pour payer sa part et je ne réussis pas à lui faire comprendre que c’est dangereux de montrer son argent ainsi. Je laisse tomber, il ne comprend pas mon intervention. Comme si rien de mal pouvait lui arriver. J’aime de plus en plus ce jeune homme.
Heureusement, malgré notre arrivée hâtive, le personnel de l’hôtel nous laisse une chambre avec un chauffage d’appoint en surcroît. Nous laissons notre jeune ami régler son séjour à l’hôtel jusqu’à ce que personnel de la réception nous appelle. Sans réservation, la chambre doit être payée d’avance, c’est normal. Entre l’anglais boiteux du personnel de l’hôtel et celui presque inexistant de notre compagnon de fortune…je comprends que la discussion soit difficile. Je réussis à expliquer au jeune homme ce qui est attendu de lui, fait « Ahhhhh! » et heureux, il sort sa liasse de billets. Je l’adore.
Affamés, Robert et moi allons déjeuner. Après un bon repas chaud, nous sommes d’attaque pour profiter de la journée qui commence. L’hôtel est situé un peu à l’extérieur de la ville mais des rickshaws collectifs font la navette régulièrement vers Bodh Gaya. Cela sera notre moyen de transport pour la durée de notre séjour.
Ce petit village, habituellement tranquille, devient un lieu de pèlerinage entre octobre et mars. Des familles complètes, des moines et quelques rares touristes, comme nous, viennent se recueillir au temple. Le Dalaï Lama y séjourne à l’occasion. Des temples boudhistes de plusieurs pays tel que la Thaïlande, le Tibet, le Bhoutan, le Japon, le Sri Lanka et la Birmanie sont construits un peu partout dans la ville. Ils lui donnent un air cosmopolite. Les rues les plus achalandées sont bordées d’étals de toutes sortes. Mais malgré cet aspect très mercantile de la cité et sa vie très animée pendant le jour, une atmosphère de recueillement règne un peu partout. Aujourd’hui, c’est l’exploration de cette petite ville qui nous intéresse.
En après-midi, un grand jeune homme m’interpelle avec un grand sourire. C’est notre ami asiatique. Il sort ses billets de train, heureux de son achat. Il me les montre, il n’a pas payé trop cher. Heureux, il a un sourire extraordinaire. Définitivement, j’aime ce jeune homme. Il ne faut pas se fier aux apparences, je suis sûre qu’il s’en sortira très bien.
Il fait froid en cette période de l’année. Tous portent des vêtements très chauds sauf pendant une heure ou deux l’après-midi alors que le soleil réussit à réchauffer l’atmosphère. Nous profitons de cette période la plus chaude pour visiter le temple Mahabodhi avec son Bouddha aux cheveux bleus. Entrés dans le temple pour nous recueillir avec d’autres pèlerins, nous observons un moine changer les vêtements de l’énorme Bouddha assis derrière une vitre. Cette cérémonie est accomplie plusieurs fois par jours.
L’arbre sacré, le Boddhi, est toujours derrière le temple, soutenu par des étais. Il est protégé par une grande clôture recouverte de guirlandes de fleurs. Des pèlerins s’assoient près de l’arbre pour méditer tandis que d’autres marchent sans interruption autour du temple en récitant des prières. L’énergie dégagée est palpable.
Par la suite, de longues marches dans les jardins autour du temple et près du ghat avec des milliers de pèlerins nous plongent dans une atmosphère inoubliable. Un grand évènement collectif avec des gens venus de tous les coins du pays pour se recueillir. À chaque visite d’un temple, Robert et moi sommes émerveillés par la ferveur des gens croyants. Aujourd’hui, à plus d’une reprise, mon regard est attiré par le visage paisible d’un moine plongé dans sa méditation.
En fin d’après-midi, nous entrons nous réchauffer et déguster un bon café dans un minuscule restaurant. Il sert un café digne de ce nom. Quel bonheur!
Quelques jours plus tard, satisfaits de notre visite à Bodh Gaya, Robert et moi reprenons notre route. Cette fois-ci, nous prenons un train de jour vers Varanasi. Il fera plus chaud et d’autres découvertes nous attendent.