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Revoir Phnom Penh

Pourquoi c’est Phnom Penh qui nous est venu en tête alors que nous cherchions un endroit pour bien débuter notre voyage en Asie?

Probablement parce qu’il y a quelques années, notre premier séjour dans la capitale du Cambodge nous a séduits, particulièrement après que nous ayons découvert l’hôtel Anise. Nous avions le désir de revenir dans cet endroit au charme presque surrané, avec son personnel accueillant et son décor absolument dépaysant. L’établissement est tenu par une charmante dame que nous retrouvons avec plaisir. À ma grande surprise, elle nous reconnaît et vient nous saluer avec ses yeux brillants et son sourire irrésistible.

Lors de notre première rencontre, il y a trois ans, elle m’avait expliqué qu’elle a dû fuir son pays lors de la guerre. Cette gentille dame m’a dit: surtout expliquez bien à vos lecteurs que j’ai dû recommencer à zéro, je n’avais plus rien! Je crois me souvenir qu’elle m’avait parlé de plusieurs emplois à la fois pour arriver à joindre les deux bouts et à élever sa famille. Elle est de retour dans son pays depuis quelques années et participe activement à l’économie de sa ville en employant des jeunes.

L’hôtel est un vrai oasis de paix dans une ville exubérante, en pleine expansion. Un peu partout dans la capitale, d’immenses gratte-ciel sont en construction à travers les maisons coloniales, fiers vestiges d’un passé qui n’existe plus. Dans certains quartiers, ces résidences sont un peu prises en étau entre des édifices modernes, construits tout en hauteur. Lors de nos promenades dans les rues, il faut lever la tête pour les apercevoir, car leur rez-de-chaussée est souvent occupé par des commerces ou simplement masqués par des grilles. Comme toutes les grandes villes, le meilleur et le pire se côtoient, la pauvreté et l’opulence, la propreté et l’insalubrité. Les parfums d’une cuisine succulente et les odeurs d’égouts.

Nous avons l’impression que le nombre de scooters et de motos a considérablement augmenté depuis notre première visite. Déjà qu’il n’était pas évident de circuler à pied le long des rues, les trottoirs devant les commerces sont devenus des stationnements pour les véhicules à deux ou à quatre roues. Pour louer un emplacement, il suffit de payer au préposé. Il replace les motos au besoin, il aide le conducteur des voitures à reculer en toute sécurité et il n’hésite pas à arrêter le traffic si nécessaire! Un nouveau négoce est né, à un point tel qu’il est parfois difficile d’entrer dans un commerce. Se faufiler entre les motos stationnées, devient un art et en faire tomber une pourrait avoir un effet domino que je souhaite éviter à tout prix. Croyez-moi, je suis tout à fait capable de cette maladresse!

Pour nous déplacer à pied, nous en sommes réduits à contourner les autos stationnées dans tous les sens, en longeant ce qui reste de trottoir. Mieux vaut marcher face à la circulation pour voir venir les vélos, les tuk tuk, les motos et les voitures, sans oublier de regarder de tous les côtés. Nous partageons le bord de la route et à certaines heures, la circulation devient un heureux chaos où chacun réussit à se faufiler. Parfois, des familles complètes prennent place sur une moto. Souvent le conducteur ne porte que de simples gougounes…

Pour traverser, la règle reste simple. Cela ne sert pas à grand chose d’attendre son tour. Il ne vient pas. La ville n’est pas conçue pour les marcheurs. Mieux vaut s’avancer doucement, d’un pas régulier en s’assurant le plus possible d’avoir un contact visuel avec les chauffeurs que nous croisons. Un motocycliste qui discute au téléphone n’est pas plus rassurant ici que chez nous.

Malgré tout cela Phnom Penh demeure une ville paisible, ses habitants aussi. Il suffit d’un simple sourire qui vient du coeur pour qu’un visage s’éclaire en retour et que la barrière de la langue s’estompe.

Il n’y a pas beaucoup de visites à effectuer à Phnom Penh. Nous avons vu le Palais royal, le Musée National ainsi que les marchés et c’est avec plaisir que nous retrouvons la jetée le long du Tonlé Sap, le resto Friends, la librairie Books Monument et bien sûr, l’hôtel Anise. Nous avons décidé de ne pas visiter les Killing fields, ni le Musée du génocide. Après avoir beaucoup lu sur ce génocide, nous ne souhaitons pas nous y retremper. Cela nous rappelle trop qu’encore aujourd’hui, de vastes crimes sont commis envers l’humanité, juste devant nos yeux.

Quarante ans après la libération du pays du joug des Khmers rouges, nous observons une jeunesse vivante, un peuple travailleur. Le pays continue à se reconstruire, jour après jour. Dans plusieurs villes du Cambodge, il est possible de contribuer à une cause pour aider la population à risque. Soit en fréquentant un restaurant qui emploie des jeunes en difficulté et leur enseigne un métier, soit en achetant dans un magasin qui vend des produits confectionnés par des personnes handicapées ou par des femmes sorties de la prostitution. Pour vraiment aider, il suffit d’ouvrir l’oeil et de se renseigner sur la légitimité de la cause.

Le Cambodge essaie aussi de prendre soin de ses enfants. Le ChildSafe Movement dont le mandat est de protéger les enfants de la prostitution, en est un bon exemple.

Une autre bonne façon d’aider l’endroit que nous visitons est d’acheter et de consommer des produits locaux afin de permettre à la population de gagner sa vie. Loger dans de petits hôtels et manger au restaurant du coin alimente l’économie locale. C’est une règle que nous essayons de respecter peu importe le pays où nous sommes. C’est encore plus vrai au Cambodge.

En nous promenant dans la ville, je ne peux oublier qu’à l’arrivée des Khmers rouges, elle a été pratiquement vidée en l’espace d’une journée et qu’aujourd’hui, elle revit de son mieux, au fil des jours. Nous avons encore tant de questions sur la façon dont les survivants se sont réorganisés!

C’est un hasard de la vie qui se charge de fournir les réponses, par le biais d’un chauffeur de taxi.

Nous quittons le Cambodge le 7 janvier, exactement quarante ans après sa libération des Khmers rouges. La ville est très calme, la plupart des commerces et des services sont fermés. La population se souvient. En circulant dans les rues anormalement calmes, notre chauffeur de taxi nous raconte ce que sa famille a vécu, ce que son peuple a subi. Il nous raconte le retour de sa famille dans cette ville vidée de ses habitants, quatre ans plus tôt. Nous lui demandons la question qui nous brûle les lèvres depuis quelques jours: est-ce que les gens ont pu retrouver leur maison? Non, ceux qui revenaient avaient le droit de s’installer dans une maison à la condition qu’ils soient les premiers à occuper. Elle leur appartenait dorénavant. Vous comprenez alors que la plupart des propiétaires étaient probablement décédés. Comment savoir? Il fallait faire vite pour avoir un toit pour la famille, c’est ce que ses parents ont fait. La ville a été rebâtie peu à peu, sans eau, ni électricité. Sans hôpitaux, sans écoles non plus. Toute une génération de gens instruits avait été décimée, ceux qui pouvaient soigner ou enseigner avaient été considérés des intellectuels, donc éliminés.

C’est avec fierté que le chauffeur regarde autour de lui, qu’il nous montre d’un geste à quel point cette ville a évolué depuis 40 ans. Il nous décrit la résilience de son peuple, avec l’aide reçue de certains pays. Il nous dit, presque ému: vous êtes chanceux que je vous raconte tout cela. Vous savez maintenant.

Oui, nous savons maintenant et nous écoutons, avec respect.

Nous aimons Phnom Penh, profondément. C’est avec un peu de tristesse que nous quittons le pays et ses habitants si chaleureux.

Bangkok nous attend.